Retour vers le sud

Lundi 9 août,

On se prépare tranquillement à partir, un coucou au revoir à Ké Boulég, Marc et Aline sur leur scooter. Vers 13h,  en route pour  Karystos en 4 ou 5 jours par l'intérieur (côte nord puis ouest d'Evia/Eubée), cap à l'ouest en passant par le sud de Skopélos. Pétole donc moteur,  au bout d'une heure et demie on voit la côte nord d'Evia noyée sous les fumées des incendies.

Qu'est ce qu'on va aller faire là-bas ? En ce moment ils n'ont sûrement pas besoin des touristes que nous sommes.

Photo Facebook d'un pilote de Canadair français à Eubé.

On change nos plans, pas de meltem (tant mieux pour les incendies), on décide de descendre plein Sud sur la côte Est. En trois étapes, au lieu de quatre ou cinq,  on peut être à  Karystos avant le coup de vent attendu à partir de jeudi après-midi. Le passage entre Evia/Eubée et Andros est un des plus difficiles par vent du nord, c'est un goulet dans lequel le vent s'engouffre en accélérant et où les vagues sont fortes donc il faut passer avant.

En vert ce qui était prévu, en orange ce qu'on a fait.

Et là coup de chance les visiteurs du soir, nos amis les dauphins nous font un ballet. Ils sont une dizaine voire plus autour de l'étrave. Avec un bébé dauphin..  Et ça se pousse, et ça nous regarde, ça se faufile, zigzague… Un vrai bonheur pendant un bon quart d’heure. Peu à peu ils sont moins nombreux, puis un dernier nous accompagne encore, part et revient nous dire au revoir….Toujours tellement heureux de les voir….

 Sur la carte,  pour ce soir,  je repère une petite anse qui pourrait être abritée de la houle et du vent, aucune information ni sur la carte, ni sur les guides nautiques. C'est seulement sur la carte routière que je vais trouver son nom : Órmos Thapsa. On peut y arriver avant la nuit et si ça ne convient pas on pourra toujours pousser de nuit jusqu'à l'avant port de Kimi où l'on a déjà fait étape. Vers 19h30 on découvre un magnifique endroit entouré de belles falaises, boisé, une jolie plage sur laquelle des gens campent, une taverne, des maisons un peu sommaires, quelques barques et Zodiacs sur des corps morts.

On va s'y reprendre à quatre fois avant que l'ancre tienne, c'est profond et avec beaucoup d'algues, on cherche les tâches de sable, peu nombreuses et avec la nuit qui tombe on ne voit pas grand-chose. Mais on y a cru et au bout de trois quarts d'heure ça a marché. Dans ce tranquille bout du monde, comment imaginer qu'à quelques dizaines de kilomètres tout est en flammes. Dans le noir, on voit passer plusieurs Zodiacs à fond la caisse et deux kayaks qui rentrent de balade.

Le lendemain matin stratégie pour débloquer la chaine enroulée autour d'un rocher. Un p'tit coup de marche avant, on se déporte,  une autre accélération et l'ancre arrive pimpante sans avoir été obligé de plonger… On profite d'un vent portant pour aller tranquillement sous génois vers Pétriés où on est déjà venu deux fois. Mouillage devant la plage pas très loin des baigneurs, là où il y a du sable. Je n'imagine même pas pouvoir faire ça en France, règlement,  règlement. De toutes façons pas moyen de faire  autrement, le port est squatté par les pêcheurs même s'il est public et théoriquement ouvert à tous. Un autre voilier va nous y rejoindre dans la soirée. Cette nuit j'ai rêvé qu'une ourse me suivait partout. Je l'emmenais dehors, et paf elle était à nouveau à côté de moi dans la maison…Rêve agréable. Au début je me méfiais de ses réactions, mais elle était amicale et voulait juste me suivre…🐻🐾🌙

Mercredi, levés tôt pour une longue étape 44 milles jusqu'à Karystos. A 7h on était parti. Monotonie du moteur. En fin de matinée nous voilà devant Cavo Doro, le cap sauvage qui marque l'entrée du Stenó Kafiréa, le passage entre Andros et Eubée. On fait une halte baignade, en face de la chapelle (normal, il y en a partout…), pas un pet de vent, pas de courant ni de vagues dans cet endroit mal famé. La piscine est belle et agréable.

La côte devient sympa des criques, des falaises, des rochers. Je suis sur la carte routière les noms des hameaux perdus sur ce rivage difficile mais à l'ombre des centaines d'éoliennes qui viennent d'y être installées. La polémique enfle à leur propos, il y en aurait trois cents sur Evia/Eubée, propriétés de sociétés allemandes. Les habitants commencent à râler  et selon certains, les autorités favoriseraient leur installation dans les zones dégradées par les incendies,  de là à dire qu’ils ne se sont pas allumés pour rien…. Il a brûlé en un mois 100 000 hectares (le tiers du Vaucluse), dix fois plus que toute la saison d'été de ces dernières années.

Image satellite de l'incendie d'Eubé.

Bref, après l'arrêt baignade, arrêt repas dans un autre bel endroit, au débouché d'une gorge à Agia Archamboli.

Une plage au pied d'une falaise et une chapelle, encore une dont on se demande comment, pourquoi et par qui elle a été construite là.  La foi remue les montagnes, peut-être,  mais ça  em… les cartographes ???

On reprend notre nav sous génois, tranquille jusqu’à la large baie de Karystos. On choisit de s’arrêter non loin de la plage de Bouros. On jette l'ancre, 6m de fond et 30m de chaîne pour être tranquilles.  Protégés nous serons du vent de nord-est qui est annoncé cette nuit. Mais…. Soirée jeu dans le cockpit, quelques petites rafales de vent, au loin vers l'ouest, on voit que le ciel est très sombre, quelques éclairs sur le continent. On sait qu'il a commencé à pleuvoir au nord sur les incendies, si ça pouvait les éteindre. Tout à coup, après une petite rafale, le vent monte à 30 nds en 30 secondes, le bateau fait des embardées, je vais à l'avant lâcher davantage de chaîne, la pluie, les éclairs et le vent continue à monter. On enfile nos harnais et vestes de pluie. Ça devient violent, des rafales de Nord-Ouest à 40 nds (un peu moins de 80 km/h) et des vagues. Est-ce que l'ancre va tenir ? Le rivage censé nous protéger du Nord-Est n'est pas très très loin si l'ancre dérape. La grosse lampe nous permet de prendre des repères à terre. On a mis le moteur en route pour essayer de se tenir face aux vagues, mais difficile de rester dans l’axe même avec le moteur à fond. Bruit bizarre à l'avant, il faut retourner voir le guindeau. Ouf, tout va bien c'est seulement l’amarre de la main de fer qui a cassé, un a perdu un beau crochet en inox, mais tout est intact. J'en monte une autre sur un cordage d’amarre plus gros et je mets toute la chaîne (70m), on est à 10 fois la hauteur d'eau, ça tient. On sécurise tout ce qui claque au vent : les panneaux solaires, le paddle dans les filières, la bouée fer à  cheval. On passe deux heures accroupis pour être un peu à l'abri de la pluie et des embruns et pour ne pas se faire déséquilibrer par les rafales. On imagine le pire chacun dans son coin pour savoir quoi faire si nécessaire. Mais on tient bon, on est présent et prêt à tout. Quand je tiens la barre, parce que JJ bricole à l'avant je m'arcboute pour ne pas la lâcher intempestivement. India roule dans un sens dans l'autre, d'un bord puis l'autre. La trace GPS fait de jolis dessins embrouillés sur la tablette en bas… C’est impressionnant surtout lorsqu'on voit la force des rafales sur l’anémomètre 35, 37, 40 nds, puis ça redescend, les éclairs, les coups de tonnerre se succèdent, puis les trombes d'eau….   Enfin ça se calme un peu, je vais dormir (il faut dire que la nuit précédente j’ai du dormir 2 à 3h avec un break au milieu) tandis que JJ reste dans le cockpit entre veille et somnolence.

La trace GPS des embardée de la nuit, un joli croissant..

Au matin, le vent a tourné,  il est enfin Nord. Vers 7h on se dirige vers le port dans de bonnes rafales avant qu'elles ne deviennent plus fortes. Heureusement que la veille on a démêlé l'ancre coincée sous un rocher quand le vent n’était pas encore levé (encore !!!… ben oui on a pris un abonnement…). ..La veille aussi , JJ  a envoyé un message à nos amis de Karistos en disant que l'on serait mieux au mouillage à Bouros pour passer une nuit tranquille loin des bruits du port….  (on s’est bien fait chambré). On a prévenu Roland, il est là sur le quai pour nous aider. Malgré de bonnes rafales on arrive à manœuvrer en prenant de l'élan depuis l'autre côté du port. Belle manœuvre d'arrivée.. Ouf ! Un bon café puis une bonne sieste du matin, avant d aller se baigner pour souffler un peu. Super India qui a bien tenu le coup, et bravo au capitaine et à l'équipage fidèles au poste. .. On a comaté le reste de la journée puis une tite taverna Cavo Doro pour finir la journée. 

Vendredi ce sont les retrouvailles avec Laurence, Tim… on prévoit une soirée de festivités dimanche. Le soir on propose à Philippe et Béatrice sur Odos, voisins de quai de prendre un verre à la fraîche. Jolie rencontre…On fuit l’animation en allant à pied vers le chantier sur une plage sans réverbère et on regarde le ciel. Une première belle étoile filante attire mon regard. On en voit deux tous les deux ensemble, on fait des vœux. Puis on lit le ciel,  l’Aigle, le Cygne, la Lyre et Vega au plafond, le Scorpion vers l'horizon, puis le Sagittaire,  le Verseau et Jupiter, le poisson et Neptune, le Dauphin, le Petit Cheval, Pégase… A l’est de Vega, Hercule, le Serpent plus bas puis le Bouvier plus loin… Merci l'appli.. C'est pratique en direct.. Ça ne m'a pas empêché de reprendre le livre de retour sur India pour « ancrer » tout ça dans la cabesa….

Aujourd'hui samedi ça souffle au port, nord-est , nord-ouest, sud-est, sud… tout y passe… Avec des rafales à 42 nds entre 12 et 15h. On planque tout. On met des gardes de chaque côté, une croisée derrière. On saucissonne l’annexe pour éviter le fardage, on plie le paddle pour éviter une envolée intempestive puis on déjeune, ça donne faim tout ça.. ..Thon au four pas très moelleux accompagné d'une salade de pommes de terre et haricots aux câpres.. .Et tirokeftari (fromage piquant boatmade)… et fredo espresso au café d'en face pour les toilettes et le wifi….